L'homme et le rayon vert

 

L’homme reprit conscience de son corps et ouvrit les yeux. Il lui semblait sortir d’un sommeil éternel et l’étonnement qui se dessina progressivement sur son visage indiquait que l’espace qui l’entourait lui était parfaitement inconnu. Pourquoi se trouvait-il là, lui qui avait la veille bordé sa progéniture et embrassé sa femme comme à son habitude avant que ne s’éteigne la petite fenêtre du 17e arrondissement ? Le vide occupait ici tout l’espace et seul un rayon vert d’une rectitude parfaite semblait avoir résisté au despotisme du néant. Mais ce dernier n’intéressa l’homme que très peu et ses jambes le portaient déjà vers l’horizon infini.

Son esprit s’assombrit alors pas après pas car ce que ses yeux lui montraient était identique à ce qu’il laissait derrière lui. Il évoluait sur un plan parfait et le bâtisseur de cet espace géométrique semblait avoir choisi la pureté de l’unicité à la multiplicité synonyme de travail d’harmonisation. L’homme revit alors dans sa tête l’image  du rayon et l’assemblage des neurones de son centre de conceptualisation s’en trouva progressivement imprégné. Le rayon vert, unique support à la réflexion devint le centre de gravitation de toutes ses pensées car l’homme sentait que la réponse à sa condition actuelle devait se trouver à sa source génératrice. Peut-être un être supérieur l’ayant pris en pitié essayait-il de le guider vers la liberté.

Il marchait depuis des mois déjà, il marchait jour et nuit ou du moins tout le temps car le jour et la nuit n’existaient pas ici et la luminosité restait égale à celle qu’avait filtré sons iris au premier jour. Il ne pensait ni à la faim ni à la fatigue car le rayon vert régnait en maître absolu sur son cerveau, c’était l’homme et le rayon vert et rien ne pouvait interférer avec cette relation.

Le rayon vert se fît au cours des années plus lumineux et l’homme sût alors qu’il approchait du but. Son espoir allait crescendo avec l’intensité du rayon et ses pas devinrent plus rapides. Chacun de ses muscles était animé par la soif de vérité qui avait maintenu l’homme en haleine durant toutes ces années. Il courait maintenant, les battements de son cœur s’accélérèrent, le sang lui battait les tempes, flux et reflux se succédaient dans ses veines ou courrait le désir de connaître, le souffle lui manquait mais la source lumineuse étant proche rien d’autre ni même son corps ne prenait dimension en son cerveau. Il allait voir la fin du rayon après tant de temps plongé dans l’interrogation et l’incertitude, ses pensées convergeaient vers la source de joie, la surexcitation le faisaient vibrer de tout son être. Cents mètres puis cinquante, la distance se réduisant, il devenait fou, dément, ses yeux injectés de sang se remplissaient de larmes chaudes. Mais son cœur continuant sa course effrénée, l’homme alors se figea, son visage devint blême et un frisson traversa tout son être car il voyait ici le rayon vert arrêter sa couse sur un miroir à 45 degrés pour ensuite reprendre sa fuite à la verticale vers sa source lointaine. C’est ainsi que le rayon vert après un long voyage céleste avait été projeté vers le lieu qui l’avait accueilli à son arrivée en ce monde et il n’y avait donc ici aucune réponse, ce qui avait conditionné  chacun de ses gestes depuis si longtemps se trouvait là haut, au bout du rayon vert, hors de sa portée, lui restait là, les pieds cloués au sol de ce monde ingrat.

Le cœur de l’homme s’arrêta, ses jambes ne le tinrent plus et d’abord sur les genoux puis étendu à terre, il sentit la vie quitter progressivement son corps. Ses yeux tournés vers le ciel lui montrèrent une dernière fois encore le rayon vert. Il allait scintiller pour l’éternité dans la pupille vide du gisant. Tout redevint froid, le silence régnait à présent.

Frédéric Gelé (Lyon 1990)