Spitzberg à la voile 2012
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Premier
jour : Paris/Oslo/Tromso
(Norvège)
Je
retrouve Frédéric (le capitaine
du voilier qui nous emmènera voir les glaces) que
j'ai eu longuement au
téléphone depuis quelques mois pour
préparer ce voyage. Cela fait deux ans que
nous en parlons de ce voyage probable. Mon papa nous
véhicule jusqu'à
l'aéroport car nous avons trois gros sacs, deux
sacs à dos, un ordinateur,
un tube à carte style bazooka. Mon sac fait 21 kg avec la
combinaison de
plongée, la pesée faite à la maison
pour ne pas dépasser les 23 kg maxi était
donc correcte. Départ de Charles de Gaulle 25° beau
temps 14h05 arrivée Oslo
17° temps couvert 16h30, redécollage 18h35. Je
commence à m'immerger dans la
lecture des guides du Spitsberg ce qui commence à faire
monter une bonne
excitation non propice au sommeil. Arrivée Tromso
(Norvège) 10° pluie 20h30.
Vision de brume et de fiords enneigés, voilà ce
qui arrive au voyageur qui
passe le cercle polaire. Bienvenu au pays des Vikings. Il pleut et je
peux donc
profiter de ma nouvelle veste de quart Aigle trois couches dont le col
monte
jusqu'aux oreilles et qui cache ainsi bien le museau pour qu'il ne
gèle pas. Le
taxi nous pose au Scandic Hotel ou nous accueille un bel ours blanc
empaillé.
Le bateau est lui sur le chantier qui doit être
fermé à cette heure. Il fait
jour toute la nuit et nous tirons donc les rideaux pour
dormir. L'ambiance
dans l'hôtel n'est pas spécialement chaude et
pleine d'humanité peut être que
les norvégiens ne sont pas de si joyeux drilles. Quand je
demande au réceptionniste
s'il pleut souvent il me répond d'un air laconique "non, en
général il
neige!" lol
Deuxième
jour : Skattora marina (Tromso)
Levé six heures, j'en
profite pour taper
mon journal. Petit déjeuné local : jus d'orange,
lait très épais avec des myrtilles,
pain aux graines excellent (chacun prend le couteau pour couper ses
tranches au
buffet), scramble eggs, saucisses, saumon, fromage en
plastique...Départ en
taxi pour le chantier sous une pluie fine et une journée
grise car couverture
nuageuse classique ici à 8°. Gadji, le bateau
majestueux avec ses 12,35 mètres
de long 3,94 de large 2 de tirant d’eau, nous attend sur ses
bères, avec sa
coque qui rappelle le cétacé. Des gars sont en
train d'intervenir sur le moteur
et la communication est difficile car ils ne sont pas très
à l'aise et semblent
tout faire pour facturer un max et nous refiler des filtres de rechange
sans
d'ailleurs nous en donner le prix...Il n'y aura pas de facture
détaillée le
soir et nous la demanderons...Nous nous occupons vite à
sortir les voiles du
bateau et les installer à poste. Première fois
que je monte un génois sur
enrouleur. Je fais moi-même le maximum pour apprendre et
connaître le bateau.
Poids important et rien à voir avec mon bateau. Moi je pars
avec mon génois
sous le bras alors qu’ici tu peine à le trainer
avec tes deux bras. Je fais
sécher les matelas des cabines et je prends mes quartiers
dans la cabine avant.
Après pelle et balayette c'est une vraie habitation
princière. Mise à l'eau à
14h du bateau qui ne l'a pas vue depuis un an maintenant. Les grutiers
sont
aussi bizarres que les mécaniciens du moteur. On ne sait
jamais s’ils nous
prennent pas pour des vaches à lait et restent toujours
très distants. Suite à
un problème sur la drisse d'enrouleur de génois,
Frédéric m'envoie grimper au
mat à 18 m de hauteur. L'ascension est lente au winch mais
la vue est
imprenable la haut (voir photo). Après
m’être coupé le souffle, je coupe un
bout qui bloquait la drisse et j'en profite pour remonter
l'anémomètre. On part
en ville pour un verre de bière et deux crevettes sur du
pain 30€ à deux car tout
est cher au pays du pétrole. Entrecôte et vin
Australien pour une soirée
restaurant sympathique...Je préviens
Frédéric que je ne pourrais pas suivre ce
rythme financier. De retour à la marina skattorat, je
m'amuse à prendre des
photos de reflets de méduse sur l'eau assez incroyables
(voir photo) et dodo
dans mon sac prévu pour -30° dans lequel j'arrive
à dormir en caleçon. Je sais
maintenant pourquoi je l'ai payé cher ce sac de couchage et
qui était à la base
prévu pour un voyage à vélo en Russie
que j’ai jamais fait. J'occulte tous les
hublots pour bien dormir car bien entendu il fait grand jour.
Troisième
jour : centre de Tromso
Je pars après une bonne douche chaude dans l'algeco de la marina sur la route pourrie pour aller acheter de quoi petit déjeuner. Après avoir usé les souliers sur l'aller, je fais le retour en stop avec Oksana. Je fais le petit déjeuné traditionnel pain, beurre, jus d’orange, lait aux myrtilles, saucisses, purée de pommes de terre, fromage en plastique. Journée belle car ensoleillée mais je vais passer mon temps dans les entrailles du bateau pour essayer de réparer le système eau chaude. Je découvre quatre fuites dues au gel cet hiver. L’eau si elle n’est pas purgée gèle et fait éclater les tuyaux de cuivre. Fred et moi passons notre temps à enlever de l’eau dans les cales sans savoir d’où elle vient. On change des poulies… Dans l’après-midi nous quittons la marina pour le petit port au centre-ville bien plus typique. Ca y est nous naviguons dans ce bras de mer et faisons une arrivée dans un trou de souris (ce n’est pas moi qui barre) à côté du gros bateau des pompiers. Nous finissons épuisés à minuit sous un soleil éclatant.
Quatrième jour : retour Skattora
marina
Levés 7 h car nous avons du boulot si nous voulons partir cette après-midi pour le large. Nous partons avec deux énormes sacs pour faire l’avitaillement du bateau et rigolons avec Brenda une caissière congolaise qui parle français, norvégien, swahili, anglais. On a du mal à trouver de l’eau ! Ils semblent ne pas en boire ou alors ils boivent celle du robinet. Nous les soupçonnons de boire de la bière à la place. Au programme : soupe, saumon fumé, lait, jus d’orange, œufs, pommes, bananes, riz, pâtes… Mister Jakobesen le patron de la skattora marina nous retrouve au moment où on enlevait les amarres comme s’il avait eu peur de ne pas être payé des frais d’hivernage. Il nous oblige à aller à la banque et toute la journée ça va être la course avec la Caisse d’Epargne pour vérifier le virement… Nous retournons donc à la Skattora Marina pour acheter des bidons, les remplir de gasoil, acheter du gaz, faire réparer la fuite d’huile au moteur. En fait les gars qui avaient bossé sur le moteur n’avaient rien fait de sérieux. Ils nous avaient donné de la colle pour refaire le joint du capot moteur alors que notre nouveau mécano (polonais) rectifie la surface et refait un joint dans une plaque. Il vide aussi toute l’huile qui stagnait au fond du compartiment moteur alors que les autres étaient partis satisfaits comme ça. On décide de ne plus partir ce jour car la courroie du moteur est finalement à changer et la Caisse d’épargne n’a toujours pas fait son travail. On aura au moins une douche chaude ce soir, à défaut d’une belle navigation. Nous décidons d'aller voir à pieds les trois descentes de saut à ski entrevue depuis le bâteau hier et découvrons un coin de nature fabuleux sur une crète et le bonheur est dans le près puis les terrifiantes descentes pour le grand saut à ski de la mort qui tue. Dîné à la marina pas embêtés par le monde...
Cinquième
jour : depart Skattora
marina
Levés 8h30 et notre polonais a tenu promesse et vient avec la courroie. La caisse d’épargne a fait son travail et nous avons bien négocié les travaux mal faits par les premiers ouvriers sur le moteur. Ils nous emmènent en ville pour payer en cash car la visa fonctionne pas ici…départ pour les fiords. Ca y est l’aventure commence après toutes ces galères qui font parties du voyage. Bref on sait que l’on a un bon moteur c’est mieux de partir ainsi. Voile et très belle navigation dans cet univers vert aux maisons rouges qui parsèment les rives. On passe le soixante dixième parallèle. Nous quittons les fiords pour attaquer le large en disant au revoir à une île glauque Ugloya avec ses falaises noires et peu accueillantes. Pleine mer et dernier repas chaud mais cela je ne le sais pas encore. Je prends mon quart de vingt heure à vint deux heures
Sixième et septième jour Navigation Tromso / Iles aux ours
Je
prends mon quart de deux heures du matin à six heures et
là je vomis tout. On a de vingt à
trente nœuds de vent d’ouest nord-ouest et des
vagues de trois mètres. La grand-voile
a pris deux ris et le génois a été
renté. Le moteur tourne. Je suis harnaché
à
la ligne de vie et j’ai bien entendu le gilet de sauvetage.
Il fait jour, seuls
des oiseaux viennent nous visiter dans la folie des vagues
très irrégulières
qui malmènent le bateau. Je me jette dans ma couchette en me
tenant aux murs,
pisser devient une vraie gageure mais obligatoire. De l’eau
de mer te tombe sur
la tête dans les toilettes et je peux plus vomir puisque
j’ai même plus de bile
dans l’estomac. Tu dors le dos calé contre la
coque tribord puisque le bateau
est gité sur tribord et tu sens les vagues qui
déforment la cloison et poussent
sur ton dos. Dans mon duvet c’est le seul endroit
où j’ai chaud et ou je ne vomis
pas. Les réveils pour prendre mon quart sont un enfer. Nous
ne sommes pas amarinés
et là on commence par fort. J’ai bu deux
gorgées et mangé dix raisins secs en
deux jours j’ai donc froid et je marche au ralenti. En fait
j’en ai pris un bon
coup au moral car pour moi c’était la mer
habituelle mais Frédéric me dira
ensuite que c’était de la grosse mer vue les
vagues et il me dira que tout le
monde aurait eu peur ce qui n’a pas été
mon cas. Le plus terrifiant c’est que
tu regardes pas franchement devant le bateau car vu les vagues et le
vent il
faudrait regarder tout le temps et tu serais mort de froid rapidement.
Des Fulmars
boréal ternes avec un corps massif et des Guillemots qui
ressemblent à des
pingouins sont là en plein milieu de nulle part. Les Fulmars
vont à 500 km de
leurs nids sur l’ile aux ours pour pécher sur les
côtes norvégiennes. On aura
vu deux bateaux en deux jours. Mais promesse de jours
meilleurs ? Des dauphins
me cueillent au dernier matin pour une chasse petit
déjeuné pour eux dans les
vagues, les oiseaux les accompagnent pour dévorer des
pauvres petits poissons…
J’attrape avec ma ligne de pèche un oiseau que je
ramène vite pour qu’il ne se
noie pas et il s’immobilise au lieu de battre des ailes et de
me piquer de son
bec quand je le prends pour le démêler
du fil comme s’il avait compris que j’allais le
sauver. J’avais vécu le même
épisode avec une mouette à Toulon…
Arrivée sur l’ile aux ours vers dix heures
du matin comme une résurrection. Il n’y a pas
d’ours mais des oiseaux. On en a
marre du vent, en plus, on est maintenant dans la partie
froide de la dépression qui fait un
vent de nord… On décide de
s’arrêter ici pour se reposer, manger, boire, faire
le plein de gasoil avec les bidons prévus. Un cirque de
falaises propices au
clame du vent nous accueille pour un mouillage en solitaire hormis les
tonnes d’oiseaux
qui nichent dans la falaise et viennent piquer du nez sur nous pour une
baignade qui a l’air de leur plaire. Musique et presque
soleil la vie reprend
le dessus. J’enchaine petit déjeuné et
repas : pain, beurre, confiture,
lait chaud, jus d’orange, pates au pesto, charcuterie, pomme
j’en ai vraiment
besoin et là je m’endors dans le
« salon » pour une petite sieste
royale.
Je prends l’annexe qui fuit et vais me balader au milieu des
oiseaux sur une
plage déserte mais renonce à l’escalade
car c’est de l’ardoise qui s’effrite.
Pas de découverte de l’île donc. Puis
galère pour repartir avec le zodiac car
vagues et j’ai mal calculé le moment et
j’ai pas monté les rames car très
difficiles. Une fois bien mouillé, je vide
l’annexe et monte une rame comme je
peux et passe les premières vagues en perdant
l’écope pour démarrer le moteur
qui serrera trois cents mètres plus loin car je suppose que
son refroidissement
ne fonctionne pas. Retour à la rame en visant bien le bateau
sinon c’est la
pleine mer… Suffit les émotions pour
aujourd’hui, jazz et bière autour d’un
dîner
de pâtes de midi, d’œufs au plat et de
soupe… I ’ile aux ours est la seule ile
sur notre parcours. Ile qui est gagnées par les glaces du
pôle l’hiver. C’est
Barents qui l’a découverte et c’est lui
qui a donné son nom à la mer qui nous a
fait souffrir ces derniers jours. C’était une ile
de pèche au morse. Pas d’habitation
hormis le centre météo que nous ne verrons pas.
Quatre petits degrés c’est la
température maxi ici.
Septième
et huitième jour
Navigation Iles aux ours / Spitzberg
Nous quittons motivés mais inquiets notre mouillage aux oiseaux car nous ne connaissons pas la météo et n’avons pas une bonne idée de ce qu’il se passera une fois en mer. Fred parle même d’abandonner si le temps ne le permet pas. Ambiance lourde donc car deux ans de préparation. J’essaye de joindre ne vain les deux bateaux de pèches Finlandais qui mouillent et la station météo sur la VHF pour connaître la météo. Bref une fois en mer on découvre un vent faible de nord qui nous fera avancer au moteur avec la grand-voile et des vagues tranquilles qui vont nous permettre de faire une belle croisière qui peut s’amuser. Je ne suis plus malade et forcément tout est plus agréable. Je peux lire, travailler sur la table à carte pour faire le point comme à la bonne époque où j’étais sauveteur en mer. Je croque le livre d’Alexandre Jardin sur le passé Vichyssois de son grand père, des livres d’électricité et de cartes marines. Je mange et dors au salon car devant ma cabine s’enfonce trop dans l’eau pour permettre un bon sommeil. Quarts habituels c'est-à-dire pour moi de vingt heures à vingt-deux et de deux heures à six heures. Bonne dérive due au Gulf Stream. Fred me fait sortir de mon duvet au matin car nous arrivons devant le sublime Spitzberg qui sort de la brume avec ses sommets enneigés irréels et ses glaciers qui tombent dans la mer. En fait c’est comme si le niveau de la mer était montée jusqu’aux alpes. Dieu y a mis un peu de soleil pour donner un peu de mystique à la situation. Ca y est on l’a fait ! Un peu tôt à huit heures du mat pour ouvrir une bière et fêter l’évenement. Le rêve est devenu réalité. Des phoques un peu timides pour permettre la photo sortent la tête pour voir qui vient perturber leur déjeuné. Pas de bateau comme d’habitude. Fred ne regarde pas devant et je lui conseille de mettre le radar comme j’ai fait cette nuit mais je ne suis pas certain qu’il fonctionne vu que je n’avais pas la côte proche et Fred me rétorque qu’il n’y a aucun bateau ce qui est vrai. Les oiseaux affolés marchent sur l’eau pour éviter le bateau avec leurs ailes comme s’ils n’arrivaient pas à décoller mais ils pourraient plonger s’ils en avaient l’envie.
Dixième
jour arrivée à Longyearbyen
(Spitzberg)
Fred me réveille vers deux heures du matin car le brouillard s’installe et des rochers sont proches et le vent forcît (rien que ça). On tire un contre-bord pour passer au large de rochers que nous ne verrons pas. Il nous faudra encore une journée de navigation à longer la côte pour enfin arriver à destination et trouver nos deux nouveaux équipiers Gilles et Richard pour la semaine qui nous attendent inquiets surement car nous sommes en retard (deux jours) et nous n’avons pas de réseau pour les prévenir. Ce paysage est à la fois magnifique et inquiétant car hostile puisque froid, brumeux, venté et c’est un paysage qu’il faut gagner durant de longues heures de patience, cinq jours de mer tout de même… Longyearbyen est au 78 ème parallèle nord. C’est une ville de 1100 habitants fondée en 1909 par les compagnies charbonnières. Maisons noires, vertes, rouges, jaunes. Des motos neige, des chiens de traineau. Il y a un petit aéroport et un ponton avec des douches chaudes pour dix couronnes (un peu plus d’un euros) les 4 minutes. Voilà une semaine que nous ne sommes pas lavés. Forcément un bateau sans eau chaude et sans chauffage ça dissuade n’importe qui de se déshabiller un tantinet. Quelle idée de venir si haut dans des conditions pareilles… J’ai réglé mon problème de froid aux pieds avec une deuxième paire de chaussettes il y a quelques jours, je règle le froid en haut en achetant en ville une couche supplémentaire en laine pour environ 100€. Nous visitons le musée des explorations du pôle nord à l’aide de ballon dirigeables (notamment l’expédition ratée italienne avec l’Italia poussé par Mussolini). Nous apprenons que le Spitzberg n’est pas un bon départ à pieds pour le pôle nord car la dérive de la banquise double environ le trajet pour y aller. Nous avitaillons une fois de plus le bateau pour continuer de monter vers le nord demain si le Governor veut bien nous donner l’autorisation. Pour l’instant il attend un fax de la compagnie d’assurance de Fred et que l’on loue un pistolet d’alarme contre les ours. C’est que depuis l’année dernière avec le scout qui s’est fait manger ils sont un peu tendus sur la sécurité. On croise d’ailleurs des filles avec le fusil sous le bras mais dont le canon est en deux parties et scotché ce qui doit pas être pratique dans la panique…Déjeuné hamburger dans bar avec internet d’où je vous envoie le journal et donc dîner seul à bord pour laisser mes acolytes aller au resto pour faire des économies. Je sais qu’ils vont rencontrer une française de Brest qui plonge sous la glace pour étudier les algues…
Onzième
jour Longyearbyen
(Spitzberg)/Mouillage sauvage à Skarsbuta
Nous sommes
à
900 km du pôle, à environ 3400 km de Paris au 78
éme latitude nord. Un détail
étonnant, le Spitzberg était avant sous
l’équateur et est monté ici avec les
mouvements des continents. Toute l’équipe se rend
à pied chez le governor sans
pistolet d’alarme et pas avec le bon budget mais tout se
règle vite et on quitte
le beau bâtiment officiel avec l’autorisation tant
chérie. Os de baleine sur
fond d’anciens convoyeurs de charbon pour la mine qui
n’ont pas étés
démontés.
Il faut savoir que le Spitzberg a connu bien des massacres de baleines,
morses,
phoques… On raconte par exemple qu’un bateau a
ramené 2200 morses en un seul
voyage en 1767. Autre anecdote sur les morses : le Vatican se
faisait
payer du diocèse du Groenland en ivoire de morses et la
chair pouvait être
laissée sur place. Plein de gasoil et rencontre de
Joëlle suisse mais vivant à
Brest qui part au nord pour collecter des pétoncles sous la
banquise pour une
plongée scientifique est rafraichissante. Nous partons pour
le Billefjorden qui
nous mène vent arrière sur Pyramiden, une ville
fantôme russe ancienne cité
minière complètement vidée vers 1998
mais dont les bâtiments semblent en très
bon état. Quelle vie de dingue ici… Je lis dans
un bouquin qu’un édit du roi
d’Angleterre de 1625 laissait le choix aux
condamnés à mort entre la pendaison
et l’hivernage au Spitzberg, et nous nous y venons certes en
été mais pour des
vacances…Nous longeons le glacier Norderskioldbreen dont les
blocs de glace
tombent dans l’eau et viennent rencontrer notre
étrave tout en crépitant pour
les plus petits sur la surface. Quelques secondes après la
chute nous entendons
l’écho sur le cirque glacière.
C’est le point culminant du voyage et les photos
fusent, le voyage trouve ici et à ce moment toute sa
grandeur, toute la
justification des efforts et des peines. J’ai
malgré tout, en voyage, j’ai
souvent éprouvé une déception et je me
méfie de ne pas enjoliver mon récit. Mon
imagination ou les images qui sont véhiculées
nous poussent à embellir, à
exagérer. On imagine des glaces, des icebergs de tous les
côtés. Soyons clairs,
nous nous sommes approchés d’un glacier
très près et les photos relatent un
endroit bien localisé. Pas de glace de tous les
côtés. Bref, nous mouillons
dans un endroit sauvage pour partager un pot au feu arrosé
de côte du Rhône.
Des phoques timides et quatre rennes viendront nous dire bonsoir vers
minuit
sur les berges, les oiseaux criaillent sur la falaise.
Douzième
jour Mouillage sauvage à
Skarsbuta / Forland-Sundet (direction Ny-Alesund)
Levé le premier, je lève l’ancre et démarre le moteur pour partir vers 7 heures car il y a une quinzaine d’heure de navigation prévue ce jour avec pour objectif de continuer notre folle progression vers le nord (que dirait Michel Galabru : « c’est le nord » !) et passer entre Prins Karls Forland et Oscar II land avec un passage à 7 mètres de fond par endroit et l’espoir de voir les morses ! Quatorze heures, bière et soupe presque au soleil lorsque le bateau tape violemment le fond ! Erreur de point, pas de sondeur alors que j’avais passé deux heures à tenter de le réparer ce matin à nouveau, carte pas assez détaillée car pas disponible au magasin, nous étions loin de la côte mais nous voilà bien coincés à attendre la marée et jouer avec les voile pour faire giter le bateau et le décoincer. Nous passerons quatre heures plantés là et arriverons après de multiples essais notamment en s’asseyant sur la baume au-dessus de l’eau glacée et en tirant le mat avec le zodiac à libérer la bête pour le plus grand bonheur de tout l’équipage. Du coup, nous décidons de faire des quarts cette nuit pour rattraper le retard. Je suis prévu de 4h à 7h. Pâtes parmesan et côte du Rhône.
Treizième
jour Forland-Sundet /
Ny-Alesund
Levé à quatre heures, dans un fjord entouré de glaciers. Temps un peu gris et pas de vent. Le ciel est comme d’habitude c'est-à-dire que l’on voit entre la mer et les nuages une mince bande de paysage. Nous marchons au moteur comme souvent. 6h15 du matin, rencontre avec les morses. Cinq dans l’eau et dix qui sont entassés sur la berge pour se tenir chaud et se grognent dessus. Je vous laisse voir les belles photos de Richard. Arrivé au grand nord : Ny-Alesund. C’est d’ici que sont partis le Norge et l’Italia pour la conquête du pôle en ballon dans les années vingt. Il subsiste le pylône auquel étaient attachés les ballons par le museau. Le reste ce sont des laboratoires de recherche (sur le climat) : le chinois avec ses deux lions aux yeux globuleux qui gardent l’entrée (non ce n’est pas l’entrée du resto chinois) et les fleurs en plastique aux fenêtres des chambres, le centre Paul Emile Victor pour la France… On a demandé d’éteindre les portables qui de toute façon ne captent pas pour ne pas perturber les mesures des scientifiques. Un sterne arctique me pique dessus car les œufs ne doivent pas être loin et fini par me piquer la tête de son bec malgré mes bras qui chasse l’animal tel un moustique. Des panneaux indiquent que derrière le panneau il y a danger d’ours, j’en profite donc pour aller à sa rencontre avec un allemand armé et je rentre seul (en regardant derrière si l’ours ne me court pas après) puisque lui continue sa balade. Nous sommes pris d’un mal de terre (l’inverse du mal de mer quand on reste trop longtemps sur un bateau) lorsque l’on s’assied au restaurant (la terre semble bouger comme la mer). On déjeune avec les scientifiques pour 36€ et faisons le plein de gasoil pour 1,9€ le litre (ils prennent 10€ pour servir). Départ pour le glacier Blomstreandhanna, Le bateau glisse au milieu des glaces, toujours un peu plus près de la falaise qui va nous faire son festival du 14 juillet en faisant dégringoler des blocs de glaces qui provoquent lors de la chute une vague et un bruit à retardement. J’emmène nos amis photographes (on a un professionnel avec nous) dans le zodiac pour prendre des photos du bateau de loin et s’approcher encore plus dans les glaçons que l’hélice broie en petits cubes pour le pastis. Un bébé phoque montre sa tête et un plus gros disparaît sous l’eau. Nous fêtons cela avec un morceau de parmesan et une bière, moteur coupé et bateau dérivant dans ce cirque de glace. Le drapeau français flotte. Je ne résiste pas au plaisir de poser les pieds sur un iceberg deux secondes pour en éprouver la solitude inquiétante. Retour au quai pour une nuit ensoleillée qui nous permet de voir la partie hautes du paysage en général cachée par les nuages bas et un diner rôti pommes de terre frites. Je laisse mes collègues aller boire une bière dans un pub boite (le seul de cette petite ville et qui pour faire ambiance doit fermer les volets car il fait grand soleil dehors. C’est épatant, on est au bout du monde et l’on verra en deux jours au moins cinq bateaux de croisière et leurs flopées de visiteurs âgés en vestes de mer rouges fournies par le croisiériste.
Treizième
et quatorzième jour
Ny-Alesund/Eidembreen/Longyearbyen
Réveillé
par la
cornemuse (prévue dans la croisière qui vient
d’arriver) et départ pour le sud
et donc début du retour pour tout le monde vers des
températures plus clémentes
et des latitudes décroissantes. Je rencontre le patron du
labo franco-allemand
qui me parle de ces chiens de traineau que l’on a vu en cages
hier soir et de
la visite de Michel Rocard prévue cette semaine. Cela fait
huit ans qu’il est
là et ne s’ennuie pas car il y a toujours
à faire même si les mesures
scientifiques sont presque toutes automatisées. Nous filons
vent arrière avec
des pointes à huit nœuds et retrouvons nos amis
les morses à l’endroit où nous
les avions laissés sauf qu’ils
s’approchent franchement à cinq mètres
du bateau
pour voir nos faces émerveillées. Avec le vent
nous avons aussi le droit cette
fois à découvrir leur odeur
nauséabonde. Nuit magnifique dans une crique
entourée de cailloux émergeants et de glaciers.
Des renards se battent sur la
plage et grognent. Soupe, saumon, riz, thé pour le diner. Il
n’y a plus ni vin
ni bière. La nuit j’entends la chaine de
l’ancre qui racle sur les galets au
fond et dont l’acoustique remonte sur la chaine
fixée sur l’avant de ma cabine.
Départ rapide à huit heures alors que
j’ai mal dormi à cause de l’excitation
devant la beauté du mouillage ou du minus café
pris pour me réchauffer avant de
rentrer dans le sac de couchage. Fatigué, la
journée commencée au soleil fini
dans un vent de face avec des vagues et sous un froid de canard et dans
la
grisaille. Du coup, nous n’avançons pas et on ne
pourra pas s’arrêter pour voir
la ville russifiée de Barentsburg. Richard en se levant
défait par mégarde
l’écoute de génois qui se
déroule libre à toute vitesse et catapulte un de
mes
gants à l’eau car celui-ci était
posé dessus bien que dans le cockpit… Je suis
frigorifié dans mon duvet pris dans le salon pour lire et
somnoler toute la
journée… Arrivés
éreintés à vingt et une heures, nous
filons faire notre
derniers diner à quatre en ville autour d’un
hamburger maison. Les copains
Gilles et Richard reprennent l’avion à quatre
heures du matin et comme je suis
le comptable du bord, je leur prépare leur
petite facture. Nous partageons les frais de balise Argos
et l’assurance
obligatoire ici. Discussion sur la froideur de notre serveuse
norvégiennes que
l’on arrivera à faire sourire mais sans obtenir
l’éclat de rire.
Quinzième
jour Longyearbyen
Réveillé
par
un paquebot dont l’hôtesse raconte les
mérites de la visite de la ville à
l’aide de haut-parleurs. Douche chaude et internet.
J’arrive à télécharger un
programme pour faire le site car l’ancien a
terminé sa période d’essai.
J’ai
plus d’appareil photo depuis une semaine car le mien refuse
de faire sortir le
petit oiseau obstinément alors qu’il est neuf et je pique donc les photos de
Fred, Gilles ou
Richard que je remercie au passage. Journée grise et
pluvieuse. Lessive, cartes
postales, avitaillement du bateau pour la grande traversée
vers Andelès sur la
côte Norvégienne à auteur de
l’écosse. Andelès c’est le
lieu des baleines de Herman Melville qui
s’est inspiré là-bas pour
écrire
Mobydick… C’est vraiment la journée
détente
(avant la tempête ?). Croisé des chiens
qui
ressemblent plus à des loups
avec leurs yeux très clairs et leur poil dru.
J’achète un sac à viande en soie
pour éviter d’avoir à laver mon sac de
couchage de
compétition dont les plumes
n’aiment pas l’eau. Fred prépare un
steak de Rennes
pour nous donner des
forces. Le vent est prévu nord-ouest et pas très
fort
donc la traversée devrait
être plaisante cette fois ci.
Longyearbyen
(Spitzberg) / Andenès (côte
norvégienne)
J’ai
reçu hier
un mail d’une journaliste qui m’a trouvé
sur internet et qui veux interviewer
un type qui aurait fait un tour du monde mais c’est
pressé alors tant pis.
Ayant le temps, je réfléchis à ce que
j’aurais répondu à la question probable
« Que cherche-t-on dans ces aventures ? La
liberté qui nous
permettrait de devenir nous-mêmes une fois
dépouillés de tout. La vie moderne
ne nous offre guère la liberté au quotidien car
les conventions nous obligent à
tordre nos vrais désirs pour faire plaisir à
l’un ou à l’autre. Tout est
prêt
pour nous, nous n’avons plus à inventer, la
société à tout fait pour ton
bonheur, tu trouves toujours le gadget qui réponds
à ton attente. C’est toute
la différence entre celui qui va bricoler et celui qui
achète le truc tout
fait. Le premier est obligé de
réfléchir, de supposer, d’essayer. Le
deuxième
n’a plus qu’à jouir du nouveau jouet.
Pour combien de temps? La société est
hyper sécurisante, trop. On cherche donc la perception
d’être vulnérable une
fois hors du cocon sociétal pour mieux se sentir vivre. La
solitude peut inquiéter
parfois car on peut se demander où va se diriger
l’esprit abandonné à lui-même
durant ces longues heures d’introspection ? Aller
à sa rencontre plus qu’à
la rencontre de l’autre ou d’un pays,
d’une culture, dans ce genre d’aventure
que l’on souhaite seul, dans une intimité que la
nature nous offre
généreusement et en se mettant avec elle
à l’unisson. Oter ses chaines pour
mieux voir ce que l’on fera sans. Mieux se
connaître et mieux connaître notre la
planète pour trouver sa place juste. Agir comme disait
Sartre «On est que parce
que l’on fait». On veut aussi peut être
mettre un peu de piment dans cette vie
moderne un peu terne parfois si nous sommes exigeants.
Je demande aux français qui sont passés sur l’ile aux ours s’ils n’ont pas trouvé l’écope que j’ai abandonnée dans l’eau lors de ma sortie zodiac. La réponse est oui ! Cette écope aura fait un drôle de périple avant de retrouver son propriétaire…Vive la France… Nous quittons nos deux charmantes hôtesses blondes du port dont l’une a les yeux si clair que l’on dirait un vampire et elles n’oublient pas de nous faire payer 40€ la nuit sur le ponton. Heureusement qu’elles ont oublié de compter une nuit... On décide finalement de « rouler » de midi à midi demain pour arriver dans le Horsund fiord pour nous laisser la chance de voir les ours car les français en ont vu un se baigner dans cet endroit réputé visité par les fauves arctiques. Je lis au salon de notre yacht avec mon gros duvet et les moufles ce qui n’est pas pratique pour tourner les pages. J’ai deux couches de vêtement technique, deux polaires et la salopette… La journée s’égrène en lecture, sommes, méditation, remplissage du ventre, musique, point sur la navigation. Le capitaine s’endort sur la table à carte, prêt à tourner une page qui attend sagement le sursaut. Temps gris. Le loch indique plus de nœud que le GPS ce qui signifie qu’il y a du courant de face. Ce soir : quart neuf heures/minuit, trois heures/six heures neuf heures/douze heures. La route dévie rapidement entre trois heures du matin et quatre heures car nous devons rencontrer un courant de travers qui rentre dans le fiord Bellsund. Je lis que la lune s’éloigne de trois centimètre par ans, que l’Amérique s’éloigne de deux centimètres de l’Europe, que l’Afrique s’approche de deux centimètres de la France et que la Norvège monte de deux centimètres par an… Pas d’ours mais du soleil et un cirque de montagne enneigées. Je plante le bateau sur un caillou noté sur la carte que je n'ai pas consultée et comme c’est marée haute on ne perd pas de temps et on reprend la technique de l’annexe qui tire le mat sauf que seul cette fois je gère le bout pour qu’il ne se prenne pas dans l’hélice et le moteur pour faire pencher le bateau. On le dégage de suite, la technique est éprouvée mais la bouteille de vin s’est vidée lors du choc. Le soir c’est le festival des dauphins blancs et noirs et à priori des dizaines de cachalots qui crachent des gerbes d’eau et plongent dans les profondeurs en montrant leur belle queue qui disparaît dans les vagues. Vent d’est, on avance à 7 nœuds ce qui est bien car on n’aurait pas pu tenir au moteur avec le gasoil que l’on a. Raclette au fromage norvégien. Levé et pas de petit déjeuné car les batteries sont à plat ce qui indique que l’on a plus d’électricité pour le pilote automatique comble du comble le moteur qui aurait pu les recharger en une heure ne veut pas démarrer. Il pleut et le vent est froid. Nous sommes partis pour deux jours à la barre à prendre à la place du pilote automatique, les embruns glacés et sentir le froid dans les pieds trempés et les moufles mouillées. Un calvaire, je m’endors mouillé dans mon sac de couchage et le réveil en pleine nuit pour prendre un quart de trois heures est un cauchemar. Tu enfiles tes gants trempés avec difficulté et n’a qu’une envie retourner au chaud. Le vent passe ouest force 6 avec des vagues croisées qui rendent bien nauséeux. Impossible de faire à manger. La planche à pain passe en lévitant du plan de travail de la cuisine à la table à carte pourtant à la même hauteur et séparées d’un mètre. La vaisselle s’entasse, je dérape sur trois mètres sur de l’huile de moteur dans la cuisine avec un couteau pointu à la main et me retrouve accroché à la table à carte salvatrice. Honnêtement c’est plus des vacances. Sans pilote la vie devient difficile. Je dors au salon pour pouvoir intervenir en cas d’urgence, les coussins sont sans dessus dessous. Je suis calé par la table, en chien de fusil, c’est du grand n’importe quoi. Deux haubans se dévissent sans raison et me voilà à l’avant au raz des vagues avec deux clefs à molettes pour tenter de refixer ce qui tient le mat tout de même…On vit dans le gasoil sur le pont après avoir tenté un remplissage en navigation, il devient glissant et quand tu prends l’écoute de génois tribord, il te coule de l’eau salée, mélangée avec du carburant sur les moufles...Que du bonheur. On allume quelques minutes le GPS pour connaître au moins notre position et la noter sur la carte papier tant qu’il reste de la batterie. Deux jours sans moteur et lorsque nous voyons la côte norvégienne, il refuse toujours de tourner, par contre il y a du soleil et l’on sait où l’on est car le GPS fonctionne! Il ne reste que la solution d’enter à la voile dans le port ce qui va être délicat vu que le bateau fait douze mètres et que l’entrée d’andelès est notée difficile sur nos livres. Et puis, il n’y a plus de vent, il est vingt heures et l’on dérive gentiment au grès des vagues. En regardant la carte je constate qu’il va être difficile de mouiller l’ancre sur certains endroits où les falaises tombent à pic dans l’eau pour éviter de les percuter. Le capitaine devient fou (en fait il attendait sagement le vent) et va se coucher en me laissant seul et sans commentaire sur le pont. Je me retrouve donc avec ma conscience, éveillé, seul, sur ce bateau qui part en vrille : les haubans tombent, le pont prend l’eau, plus de moteur, les toilettes fonctionnent mal, plus de VHF, plus de radar, plus d’eau chaude, de l’eau dans les cales, sur les matelas, dans le salon, plus vraiment de batteries, moteur de l’annexe qui chauffe… Je vais passer quatre heures à attendre des vents qui ne tiennent pas et élaborer des scénarios en fonction. Plusieurs fois je pars dans une direction avec un vent qui s’arrête. Je monte l’annexe qui pourra toujours nous pousser ou nous tracter en cas de dérive sur le rivage. Et puis au bout de trois heures, vient un petit vent qui me porterait droit sur Andenès. Super soleil de minuit, les pics vikings verts qui tombent dans l’eau rougissent. Ici c’est la baie d’Along mais version crépuscule des dieux et version panique à bord. Petit arc en ciel. Réglage des voiles, j’ai le bon cap, une vitesse correcte et consulte les cartes pour voir les cailloux aux abords du port. Je réveille à l’arrivée le capitaine fou qui n’est plus fou après avoir dormi et qui rentre admirablement son bateau à la voile. Deux heures du mat, beau soleil, on pourrait aller faire des photos mais épuisés je pars me coucher en caleçon cette fois car ici il fait bien moins froid.
Vingt et
unième jour Andenès
Levé
vers onze
heures sous un vent pas possible et la pluie, je pars trouver la
capitainerie
et demander de l’aide pour réparer le moteur. Les
tours opérateurs pour aller
voir les cachalots sont à pieds d’œuvre.
Vu le temps, les gens vont vomir pour
voir les cétacés…Je rencontre
d’ailleurs au retour une suissesse malade dont le
mari est enchanté par les baleines. Douche et lessive
magnifique. La douche
fait au moins trois mètres carrée au sol ou
l’eau s’écoule et ici elle
n’est
pas limitée dans le temps. Si je calcule bien, je dois
être à une douche toute
les semaines…Ici c’est des chalutiers et des
hangars, pas vraiment le coin
touristique. Nous sommes d’ailleurs le seul voilier et
pourtant les gens
viennent de toute l’Europe pour voir les cachalots. Paul
viendra gratuitement
fixer la panne moteur, il m’explique qu’il devait
réparer le bateau d’à
côté
alors pas de salaire. Décidemment,
l’humanité est déconcertante car il est
resté plié en deux dans le noir et la graisse
pendant vingt minutes. En fait,
un montage de bricolage empêchait la vanne de gasoil de
s’ouvrir et j’avais vu
ce montage en mer et avait douté…Quand je pense
à la souffrance occasionnée par
les quarts de nuit au froid pour un pauvre câble que
l’on aurait pu tirer
nous-mêmes…Il ne fait plus froid,
j’insiste car pour nous c’est un confort
inouï, ne plus avoir froid aux pieds ou aux mains, de ne plus
vivre avec la
cagoule vissée sur la tête et les gants. Il y a
même des mouches ! A quand
le maillot de bain ? Journée tranquille
à prendre des photos et à se
balader dans cette bourgade de pécheurs du bout du monde. Un
phare majestueux
donne sur un archipel sur fond édenté de falaises
à pic. Diner de morue (la
bouillabaisse locale) avec vin australien offert par
l’architecte (Fred).
Vingt
deuxième jour Andenès / Rogsoy
Levé
avec un
rayon de soleil après avoir mal dormi car pensé
à
mon chien qui ne doit pas
comprendre que je vais revenir. Je profite que Fred dorme encore pour
refaire
des photos un peu plus au soleil mais je rentre sous la
pluie…
Drôle de journée,
pas vraiment du tourisme. Sans voile et au moteur car vent de face
allant
jusqu’à 35 nœuds, courant de face deux
nœuds
on avance donc à 3 nœuds il faut
donc 10h pour faire les trente milles. Forcément tu
ne sors
pas souvent la
tête pour voir s’il y a un bateau devant car tu
prends les
embruns plein les
yeux. Il faut donc imaginer l’ambiance salon
« détente » lecture
« forcée »
pendant que dehors les éléments se
déchainent. Le
stress de se dire qu’y a-t-il
devant ? Avancer sans vraiment voir le paysage. Deux mondes
distincts… On
navigue avec le logiciel Maxi relié au GPS ce qui est
tranquillisant. Passage
étroit à Risoyrenna entre les perches du chenal
sur
lesquelles trônent des
cormorans locaux version gros avion de chasse. Deux phoques noirs
curieux nous
saluent dans la tempête. A cette vitesse on
n’arrivera pas
aux Lofoten et l’on
décide de mouiller pour la nuit dans une petite crique
abritée du vent de sud
et gavée de grosses méduses roses. Il y a aussi
des
macareux avec leur bec de
clown.
Vingt
troisième jour Rogsoy / Svolvaer
(Lofonten)
Malade d’un grand mystère cette nuit avec les intestins qui gonflent mais tout va bien ce matin. Ma cabine est trempée car pour lever l’ancre il faut sortir la commande par le hublot tout le long de la manœuvre et il pleut. Vent de face et courant terrible dans les fjords à tel point qu’un moment la vitesse est nulle et la déprime maximale. Nous passons sous plusieurs ponts. Marre du mauvais temps, de la pluie, je m’installe dans une grande méditation normale après tant de jours de voyage ou une grande somnolence je ne sais pas. Je fini voyage au centre de la terre de Jules Vernes que j’avais lu il y a vingt ans. Quel contraste avec ici (une couche de pluie, une couche de salon lecture, une couche de mer, une couche sous terre). Nous croisons les ferries majestueux qui filent 15 nœuds dans ce dédale d’ilots et dont on ne voit plus que la cheminée faire guignol derrière les crêtes. Je crois que la fabuleuse aventure polaire est bien terminée, j’ai quelques indices : il y a des vaches dans les prés et des moustiques dans le bateau (c’est quand même mieux que les vaches dans le bateau et les moustiques dans les près). Tient, j’avais oublié les vaches, c’est quoi une vache ? Labyrinthe de fjords inquiétants dans la brume. On s’attend à voir surgir les drakkars et les hommes aux casques à cornes. Les monts rappellent plus des molaires ou des canines tordues et donnent au tableau la touche dramatique style château des Carpates. Des moutons sont laissés sur un îlot au moins ils ne n’iront très loin. Il y a de belles plages mais personne pour bronzer. Je pèche une algue ! Maudit capitaine qui file trop de nœuds pour la pèche. Nous grignotons des harengs à l’échalote un peu sucrés. Le compte tour du moteur remarche. Un coup oui un coup non…Arrivé à 23h au port. Des vraies vacances quoi. Hier c’était 22H. Il nous reste donc toute la soirée pour faire les boutiques. Il fait de plus en plus nuit, on allume même dans le bateau le soir (je propose d’habiter tous au pôle nord l’été et au pôle sud l’hiver pour faire des économies d’éclairage et de maillot de bain). Guerre contre les moustiques dans le salon.
Vingt troisième
jour Svolvaer (Lofonten) / Reine (Lofoten)
Courses en ville
mais bien déçu par la
capitale des Lofoten. Aucun charme, temps pourri, que des vieux, on
décide
de partir au plus vite...On trouvait qu'il faisait chaud mais
la
pharmacie indique 13°. Belle navigation au moteur car pas de
vent pour suivre
toute la côte jusqu'à Reine à la pointe
des Lofoten. Des insectes sur le bateau.
Un banc de poisson forme une bosse sur la mer. Bien plus de bateaux par
ici (quatre
voiliers, cinq bateaux de pèche et un ferry
rencontrés en route). Renne est un
très joli petit port de pèche niché au
milieu des montagnes enneigées. Lieu inoubliable.
Cabanes rouges sur pilotis avec morues qui sèchent en
laissant errer une odeur
bien insupportable. Nombreux épandages pour
sécher les poissons. Steak de
baleine au restaurant ce soir pour 30€ tout de même
(c'est pas donné la
Norvège).
Vingt quatrième, vingt
cinquième, vingt sixième et vingt
septième jour Reine
(Lofoten) / Kristiansund (continent Norvégien)
Très
mal dormi sans raison si ce n’est
que de penser un peu plus au retour. Plein du réservoir
à gasoil et des six bidons
car nous partons pour la grande traversée pour rejoindre en
diagonale le
continent Norvégien où nous laisserons le bateau
bientôt puisque les enfants
m’attendent en aout pour un voyage en camping-car vers la
Turquie. La pluie
laisse la place à un beau soleil et
j’enlève pour la première fois la
couche
polaire. Nous pouvons aujourd’hui parler de vraies vacances.
L’étrave file et nous
suivons sur tribord la côte des Lofoten. A bâbord,
la côte norvégienne bien
enneigée. Nous croisons le cadavre d’une baleine
qui flotte et qui empeste car
nous sommes sous le vent. Nous laissons plus tard sur tribord le
maelstrom, le
plus fameux tourbillon du monde dans lequel le Capitaine
Némo pris de folie fit
engloutir son Nautilus sous la plume de Jules Vernes mais il est calme
lors de
notre passage. Non pas qu’il y ait un trou dans la terre qui
aspire la mer mais
juste un endroit où se rencontrent des courants de
marrée. Les iles sont toutes
coiffées de leur chapeau de nuages.
650
personnes vivent sur l’ile de Rost l’une des plus
au sud sur laquelle on ne se
rend qu’en bateau. Autant dire le bout du monde. Vent
du nord 12 nœuds arrière qui permet de
naviguer à la voile mais qui est plus frais. Il ne fait
toujours
pas nuit et le
cercle polaire sera passé cette nuit. Comme on est un peu
pressés, on reste en
pleine mer et on fait cap direct sur Kristiansund en quatre jours.
Vision de plate forme pétrolière
éclairée
au loin.
Quart de 4h du
matin à 8h bien occupé
car brouillard puis manille de drisse de baume qui part à
l’eau puis pilote
automatique en panne…Nous redevenons des bêtes de
somme esclave de la barre. Je
dors, je barre, rien d’autre. Je trouverais une panne vers
16h pour rétablir le
pilote. Un fil était défait dans le boitier de
commande bien caché au fond du
bateau.
Crevé
après mon quart n’ayant dormi que
de deux à cinq heures je ne reste pas avec Fred qui
l’aurait souhaité. Il sera
contraint de faire demi-tour pour éviter de
dériver sur la côte avec les fortes
vagues amenées par un vent de 33 nœuds du
sud-ouest. On perd donc six heures
pour revenir à un passage plus au nord mais
l’équipage et le bateau sont saufs.
Un peu de soleil
pour quatre heures puis
la pluie revient. Dauphins au loin. Nous sommes accueillis dans notre
mouillage
de rêves dans un chapelet d’îlots par un
double arc en ciel entier qui forme
même le cercle complet avec le reflet sur l’eau! Non je ne suis pas
marseillais.
Elevages de
poissons, un bateau mère
envoie la nourriture par des tuyaux de 20 cm de diamètre sur
différents bassins
ou l’on voit les poissons sauter sur le tourniquet
distributeur. Il y a en plus
du bateau mère, une maison avec plusieurs silos sur une
barge. Quelle usine.
C’est
drôle cette navigation au long
court, j’entends parfois Fred parler comme s’il
était au téléphone mais non,
c’est
une illusion. On n’est plus dans la même
réalité. Parfois aussi j’entends des
voix mais c’est le vent dans les drisses ou l’eau
qui clapote dans les tubes
par lesquels l’eau du carré s’en
retourne à la mer. On n’oublie que l’on
est
sur l’eau, on ne sait plus vraiment ou l’on est, on
plane un peu, on se perd
entre nos lectures qui nous transportent, la musique qui tourne en
boucle, l’introspection
Surtout que
l’on vit plutôt à
l’intérieur
vu la pluie.
Je fais un ailloli carottes et une tartiflette avec du bacon et du fromage caoutchouteux norvégien. Nous n’avons pas vraiment l’appétit le midi et un seul repas le soir est fait lorsque ça ne remue pas trop. La vaisselle s’entasse lors des longues traversées…
Vingt huitième jour
Kristiansund (continent Norvégien)
Bonne nuit dans
la grande ville de la
morrue. Pizza internet et balade sur le quai avec un musée
en plein air ou l'on
peut voir s'amonceler des treuills, des coques, un gouvernail, des
hélices? une
forge etc. Douche et maintenant il faut trouver un endroit pour laisser
le
bateau en hivernage. Le gar du port nous dis que ce n'est pas possible
chez lui
mais un norvégien nous amène à
l'office de tourisme où Sigrid nous trouve
immédiatement un endroit à dix
kilomètres de là et pas cher en
plus. Fred
fait le difficile mais nous nous y rendons sans prendre nos billets
d’avions
avant en ville au cas ou ça ne lui plaise pas et que
l’on doive aller sur
Alessund. Tant pis on prendra les billets au dernier moment avec ce que
cela comporte
comme risque. Trois heures de route au moteur après, nous
nous trouvons dans
une petite suisse paisible entourée d’eau. Le gars
du chantier naval est
adorable et vient nous souhaiter la bienvenue. Un gros quai plein de
pneus qu’il
faut escalader car c’est marée basse. Je plie les
voiles et croyez moi c’est du
bouleau vue la taille pendant que Fred vide vingt litre d’eau
salée et huileuse
de la calle moteur. On fête la fin de notre voyage avec force
bouteilles de
rouge et Guinness. C’est toujours plein
d’émotions non propices au sommeil la
fin d’un voyage.
Vingt neuvième jour
Kristiansund / Oslo / Paris / Marseille
Levé du bateau par la grosse grue à huit heures donc pas pu petit déjeuner et me voici sur la route pour prendre un bus vers l’aéroport alors que je n’ai pas de billet car edream n’a pas réussi à débiter ma carte bleu. J’apprends donc là-bas que mon billet à 320€ a été annulé. Tout est complet aujourd’hui sauf un vol pour Oslo dans dix minutes… Je prends donc ce vol et réserve la suite paris Marseille mais là aussi ça va être annulé car il parait que j’ai inversé nom et prénom… Je demande à la fille que j’appelle en France après avoir écouté la musique d’attente dix minutes de faire la modification mais elle me répond « je ne peux pas, achetez un billet à l’aéroport à n’importe quelle compagnie » !!!!! Je refais donc une nouvelle réservation avec une autre carte bleue et j’attends le billet électronique trois heures avant de pouvoir mettre mon gros bagage à l’enregistrement. Aucun mail n’arrive et je suis donc obligé d’appeler une nouvelle fois pour enfin imprimer mes deux billets. De son coté, Fred a un billet de Kristiansand à Paris au lieu de Kristiansund à Paris. Les deux villes ont juste une lettre différente et 200 km infranchissables… Je pense avoir tapé Kristiansand et l’ordi à dû proposer Kristiansund et comme je ne savais pas qu’il y avait deux villes… Je me retrouve donc à dormir à Paris en ayant fait Charles de Gaulle / Orly et mettre 24 h pour rentrer à Marseille… Voilà pour les joies du voyage. Malgré tout, dans ces moments-là, les norvégiens ont été drôlement sympa et m’ont apporté une aide que je n’aurais pas eue en France. Merci donc. Un grand merci à Fred et à son bateau.